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Basil Wolverton, le génie du comics au trait gras - Barré

Basil Wolverton, le génie du comics au trait gras

FOCUS

Basil Wolverton, le génie du comics au trait gras

Basil Wolverton est un dessinateur américain aussi doué que méconnu dans l’hexagone. Découverte de cette légende du comics des années 40 et 50 qui a su allier à la perfection horreur et humour.

mercredi 4 mars 2015 ()

Illustration extraite de La Bible de Basil Wolverton
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photo de Basil Wolverton Basil Wolverton

Une des bonnes choses concernant les Etats Unis, c’est que grâce à l’immensité du territoire, le mélange improbable des cultures et cette étonnante « mentalité de pionniers », des créateurs iconoclastes finissent régulièrement par trouver un public là où dans le reste du monde ils seraient restés poliment ignorés.
C’est un peu le cas de Basil Wolverton, né à l’orée du siècle dernier en Oregon. Dès son adolescence, il va faire le siège des sociétés de publication qui fourguaient aux centaines de quotidiens ricains illustrations et B.D. en tous genres. Avec succès parfois, mais même à cette période de medium balbutiant, son dessin atypique ne trouve que rarement client. Il réussira tout de même à passer quelques illustrations dans divers pulps [1] mais malgré de multiples essais, ne parviendra pas à vendre un concept de strip [2] à un groupe d’édition.

Un dessin basique, brut, presque primaire.

Il lui faudra attendre la la fin des années 30 et le boom des comics tel qu’on les connaît encore aujourd’hui pour réussir à vivre de son art.
Son style est déjà très affirmé et en définitive, il ne changera pas plus que ça durant les cinquante années à venir : un graphisme laborieux, à l’encrage lourd et détaillé, fait de grosse lignes épaisses définissant les contours et de petites hachures pour amener du relief. Loin de la maestria technique de Lou Fine, des idées de mise en page novatrice de Will Eisner ou de la puissance évocatrice de Jerry Robinson ou Mort Meskin, son travail apparaît comme celui d’un artiste besogneux, appliqué mais limité.
Bien que sachant à l’évidence raconter une histoire et se servir des codes du comic-book à bon escient, au premier coup d’œil son dessin reste basique, brut, presque primaire. Ce qui en cette période d’éclosion du media n’était pas à proprement parler un handicap. Mais disons juste que si ses collègues ont, eux, su faire évoluer leur art par la suite, le style graphique du Basil ne changera qu’à la marge au fil des années. 
Il met le pied à l’étrier en dessinant et scénarisant principalement des histoires de science-fiction mettant invariablement un héros vertueux en scène (Rockman, Meteor Martin, Spacehawk…) confronté aux bizarreries kitsch d’un hyper-espace fantasmé. Rien de bien singulier dans l’absolu, sauf que son dessin « laid mais cool » donne à ces histoires un aspect encore plus naïf que les bandes déjà bien niaises de ses concurrents. De suite, arrive un des traits principaux de son travail : des méchants grotesques, aux déformations physiques systématiquement exagérées. Bordel ce qu’ils sont moches ! ! ! Des caricatures de super-vilains ou d’extra-terrestres qu’on jurerait être parodiques. En tous les cas, il est déjà totalement impossible de confondre une page de Basil Wolverton avec celle d’un autre artiste, et n’est-ce pas là un des traits des plus grands ?

Années 50 : du crime, de l’horreur et beaucoup d’humour

Au début des années cinquante, la mode des super-héros et de la sience-fiction est totalement passée de mode dans la bande dessinée américaine. L’heure est au crime sanglant et à l’horreur particulièrement glauque. Un domaine dans lequel Wolverton va exceller : son approche premier degré et « grand-guignolesque » du dessin sert à merveille des historiettes courtes de six ou sept pages, mettant en scène monstres, sadiques et détails gore du plus bon aloi. Il va, entre autres, faire de nombreuses pages pour les comics Atlas ( firme qui deviendra Marvel Comics une dizaine d’années plus tard) ainsi que pour les comic-books Weird Mysteries, Weird Tales Of The Future…
Dans les mêmes années, il va aussi devenir une référence dans le comics d’humour. Un de ses chefs d’œuvres est sans aucun doute l’hilarant Powerhouse Pepper chez Atlas / Marvel, mettant en scène un gros balaise chauve confronté à des méchants bornés et très cons, dans des situations toutes plus ubuesques les unes que les autres. Un délice !
Il collabore aussi à la naissance de Mad première époque (avant que Mad ne devienne un magazine), drivé de mains de maître par ce génie que fut Harvey Kurtzman et où figurait tous les autres artistes des EC Comics, la meilleure maison d’édition de l’histoire de la B.D. !
C’est d’ailleurs un peu ce qui va lui sauver la vie car en 1954, le maccarthysme s’invite dans l’histoire du comics sous la forme d’un certain Docteur Wertham qui va s’appliquer à foutre en l’air l’industrie de la B.D. Ricaine (Ndlr : le psychiatre américain Fredric Wertham (1895-1981) a mené une campagne contre les comics durant les années 1950). C’est bien connu, les comics pervertissent nos enfants, blah blah blah, et sont les armes du diable, avec le communisme et le rock’n’roll. Bref, en deux ans, les deux tiers des publications disparaissent, et dans le lot, tous les comics d’horreur et de crime.
Le milieu du comic-book est exsangue et on estime maintenant que plus de la moitié des dessinateurs quitteront alors ce medium pour rejoindre les rangs de l’industrie publicitaire et du design. Wolverton sauve ses fesses en multipliant les bandes d’humour, avec une qualité égale à tout ce qu’il avait pu produire jusqu’alors.

La Bible selon Wolverton : le chef d’oeuvre de Basil

Basil Wolverton avait plusieurs cordes à son arc. Il animait ainsi des émissions de radio et participait activement à la vie d’une petite église chrétienne dissidente comme les ricains en ont le secret. C’est tout de même assez marrant de se dire que d’une main, il portait le message du seigneur, et de l’autre dessinait des histoires à foutre des cauchemars à tous les petits enfants de sa communauté.
Et bizarrerie finale, il se décide en 1958 à produire l’œuvre de sa vie, une sorte de paraphrase de la Bible.
Il passera une bonne partie des années soixante à en livrer de nombreux chapitres, et c’est graphiquement une de ses plus grandes réussites, si si. Mais pas parce qu’on y trouve plein d’images d’un proto-hippie qui multiplie le(s) pain(s) ou change l’eau en vin (faut m’apprendre ce tour !), non, c’est absolument à tomber à la renverse car il nous livre des pleines pages splendides de scènes de désolation, de catastrophes, de fléaux divers, en fait de tous ces trucs dont la Bible est remplie.
Si jamais un groupe de Crust tombe sur ces pages un jour, vous pouvez être sur qu’ils récupèreront un des ces dessins magnifiques pour en faire une pochette de disque. Ça ferait super raccord avec des paroles sur la fin du monde thermonucléaire comme tous les clones de Discharge nous en pondent depuis trente ans. Graphiquement, je le répète, ces pages sont à tomber à la renverse, du génie pur ! Alors ok, du « génie laid » peut-être, mais c’est tellement fort, détaillé, effrayant et évocateur que oui, merde, n’ayons pas peur des mots : c’est un chef d’œuvre.

« Cela m’a à la fois dégoûté et amusé, car j’ai toujours été quelqu’un de plutôt naïf. »


Avec les années quatre-vingt, nombre de ses travaux commenceront à être réédité sous format comic-books le faisant judicieusement redécouvrir, et ces dernières années, nombre d’ouvrages ont été édités s’appliquant à proposer une nouvelle fois son œuvre sous forme de gros recueils. Si vous lisez la langue de Chuck Berry, vous n’aurez donc aucun mal à vous familiariser avec Basil Wolverton. Par contre, en Français, c’est un peu le désert de Gobi…
En tout et pour tout, il n’existe que deux ouvrage de Wolverton paru chez nous [3] : la Bible de Wolverton, sortie en 2013 chez Diabolo éditions, et Arsouilles et créatures de rêves. Ce dernier est un tout petit livre, très mignon, édité par Futuropolis en 1980. Il présente une petite galerie de personnages déformées, ridicules et hilarants sur une soixantaine de pages. Ces mêmes personnages dont son œuvre est parsemée et qui feront dire à un psychiatre qu’ils étaient impropres à être publiés, étant remplis de suggestions phalliques diverses (ah, ces nez !). Basil Wolverton s’en défendra toujours, en véritable candide :« Cela m’a à la fois dégoûté et amusé, car j’ai toujours été quelqu’un de plutôt naïf. »

Robert Crumb : « J’admire ses dessins imaginaires de la bible. »

A sa mort dans les années soixante-dix, l’artiste est un peu oublié, n’ayant plus beaucoup produit depuis le milieu des années soixante. Mais on retrouve clairement son héritage dans les comix (avec un x !) underground de la fin des années soixante. Robert Crumb revendiquera toujours son influence et très sincèrement, il lui aurait été compliqué de dire le contraire tellement cela parait évident... [Découvrez l’intégralité de cet article dans le premier numéro de Barré]

Maz.


Bibliographie :

  • The Wolverton Bible
    - *

plus d’info sur Basil Wolverton


[11- les « pulps » étaient pour les USA ce que les « romans-feuilletons » étaient pour la France : des publications imprimées sur du papier de mauvaise qualité (d’où le nom « pulps », en raison de la pulpe apparente du papier), qui présentaient des nouvelles ou romans à suivre entrecoupés d’illustrations, bref de la littérature « populaire ». Certains des plus grands écrivains ricains du siècle dernier feront le gros de leur carrière dans ce qui fut le support écrit culturel le plus vendu aux États Unis jusqu’à la fin des années 30.

[22- Les « comic strips » étaient tout simplement les B.D. publiées dans les journaux quotidiens américains (la semaine sous forme de bande unique, « strip », et le dimanche en pleine planches). Vendre un strip à un « syndicat d’édition » permettait aux auteurs d’être publiés dans plusieurs quotidiens sur tout le territoire américain et d’accéder à un confort financier et une reconnaissance sociale inégalée dans le domaine des petits-mickeys.

[33- Ajoutez à cela la traduction d’un épisode de Spacehawk dans le magazine Epic n°8 (publié par Aredit en 1985) et, il semble, d’un autre dans un numéro de Special Usa de la fin des années soixante-dix (j’ai la flemme de tous les ressortir pour trouver le n° exact)… enfin, ça fait quand même pas bésef’ !

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Basil Wolverton est un dessinateur américain aussi doué que méconnu dans l'hexagone. Découverte de cette légende du comics des années 40 et 50 qui a su allier à la perfection horreur et humour.
Au début des années cinquante, la mode des super-héros et de la sience-fiction est totalement passée dans la bande dessinée américaine : l’heure est au crime (sanglant) et à l’horreur (glauque). Un domaine dans lequel Wolverton va exceller.
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    photos : © Clément Goutelle
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