Jouer longtemps, souvent et intensément

Théâtre permanent

Jouer longtemps, souvent et intensément

Le site Internet du Point du jour ne donne que peu d’informations. Une vidéo de l’entrée tourne en boucle comme pour dire « ceci est un théâtre permanent ». Au Point du jour, le théâtre a cette particularité de se jouer tous les jours, au même endroit et longtemps. Depuis janvier, c’est le Collectif X qui assure la permanence avec Le soulier de satin, de Paul Claudel. Découverte de ce théâtre au concept répétitif et original.

mercredi 25 mars 2015 (Clément Goutelle)

« Nous sommes comme des marins en mission. » / Illustration Axl.

« Je n’ai jamais été aussi créatif. »

Il fait nuit quand une pluie fine vient m’accueillir à la sortie du métro. Je dois encore prendre un bus pour un trajet d’une bonne quinzaine de minutes avant d’arriver au cœur du cinquième arrondissement de Lyon. Au loin, un immense panneau sur lequel est inscrit à la main « Théâtre permanent » m’indique le chemin.
Le programme des quatre prochains mois est affiché : « Le soulier de Satin, du 1er janvier au 30 avril 2015. » Non, ce n’est pas une erreur. Le Collectif X va bien jouer cette pièce de Paul Claudel durant quatre mois sans interruption.
La pièce se déroule sur quatre jours, mais avec le Collectif X, les jours se transforment en mois. « On joue le jour 1 en janvier, le jour 2 en février et ainsi de suite jusqu’à avril », précise l’acteur Grégory Bonnefont.
Il a l’œil luisant de fatigue. Il faut dire que le programme du théâtre permanent n’est pas de tout repos : « Le concept se développe en quatre axes : ateliers de transmission le matin, les répétitions l’après-midi, le journal et la pièce le soir. »
Grégory semble être dans une bulle, dans un monde où seul Le point du jour et son collectif ont de l’importance : « Le théâtre permanent est une méthode de travail qui invite à la liberté. Les règles du jeu sont claires. A partir de ce cadre, il y a de la place pour tout. C’est fatigant, exténuant, mais je n’ai jamais été aussi créatif. Ça donne une véritable force de travail. »
Arthur Fourcade, avec qui il partage la scène, se réjouit de l’esprit populaire du théâtre permanent : « Le message c’est : venez et revenez. C’est 5€ la première fois et gratuit pour le reste du mois. D’ailleurs on voit pas mal de gens revenir. »

/ Illustration de Axl.

« L’outil idéal pour faire du théâtre. »

Le directeur du théâtre du Point du jour, Gwenaël Morin, a créé ce concept de théâtre permanent en 2008 : « C’est parti d’une proposition de laboratoire. J’ai essayé d’imaginer l’outil idéal pour faire du théâtre. L’idée est de jouer tous les jours, intensément, dans un lieu fixe et sur la durée. Au début ça semblait irréaliste. »
L’aventure débute en 2009 à Aubervilliers, où l’on donne carte blanche à Gwenaël Morin pour mener à bien son projet : « On a joué sans interruption durant un an, du 1er janvier au 31 décembre 2009. Ce fut une expérience difficile mais enthousiasmante. Le théâtre permanent demande beaucoup d’énergie et de générosité. »
Après cette expérience concluante, on lui a donné les clefs du Point du jour en janvier 2013 avec l’objectif de renouveler et d’élargir cette expérience de théâtre permanent :
« L’idée est de transmettre cet outil. Je n’avais jamais dirigé de théâtre. C’est un travail différent. J’essaie de mettre les gens dans une dynamique. Je suis enthousiaste à l’idée que les X prennent le relais et dépassent leur pratique habituelle. »

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Le théâtre permanent est un retour à un théâtre primitif. / Photo Collectif X.

« On revient à un théâtre primitif. »

Il est 18h45. C’est la vingtième fois depuis le début du mois que le collectif présentera, à 20h00, la première journée du Soulier de Satin de Claudel. Kathleen Dol, la metteuse en scène, quitte la répétition du jour pour se joindre à nous : « Le principe c’est que l’on joue la pièce tous les soirs à 20h00, du mardi au samedi. Le dimanche et le lundi, c’est relâche. Le matin on propose des ateliers gratuits et ouverts à tous. L’après-midi, c’est répétition. »
Avec quatre mois, l’on pourrait se dire que la troupe a le temps de soigner sa pièce dans les moindres détails. Au contraire, tout se fait dans l’urgence : « On est là pour quatre mois et pourtant j’ai cette impression de manquer de temps. On a pris six jours pour créer la pièce. Tout va très vite. Au moins, on n’a pas le temps de se poser les mauvaises questions. On a travaillé en accéléré. On retravaille beaucoup de détails. Mais entre les répétitions et la pièce, on manque clairement de temps. »
Le Collectif X, composé de quinze membres, a relevé le défi de jouer de janvier à avril, au rythme d’une création par mois. La troupe peaufine sa partition actuelle tout en préparant celle de février : « C’est un jonglage permanent. On travaille les deux à la fois. C’est génial, parce que c’est la suite. Il y a des choses du premier jour où on se dit ’’on aurait dû faire ça ou ça’’. Le deuxième jour sera plus libre, plus fragile, et ça sera surement mieux comme ça. »
Cette notion d’urgence fait partie du concept. Pour définir son théâtre permanent, Gwenaël Morin n’hésite d’ailleurs pas à citer l’artiste Thomas Hirschhorn : « Qualité non, énergie oui », avant de préciser son propos :
« Je propose quelque chose de nouveau et en même temps c’est un retour aux racines du théâtre. »
Gregory Bonnefont est très sensible à ce retour à un théâtre épuré : « On revient à un théâtre primitif, quand c’est seulement un homme qui se lève autour du feu pour donner une parole. Ce concept redonne ses lettres de noblesse au théâtre. » Cet acteur a rejoint le collectif en octobre 2013 après un parcours pour le moins atypique : « J’ai été ouvreur de théâtre, pigiste et gardien de parking. Pour moi, le moteur, c’est l’aspect collectif. »

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La journée type du théâtre permanent débute par un atelier de transmission. / Photo Collectif X.

Les ateliers : « Une transmission dans les deux sens. »

La journée type du théâtre permanent débute par un atelier de transmission. « N’importe qui peut venir. Des amateurs de théâtre, des étudiants, lycéens... On a même eu des comédiens professionnels. La seule condition, c’est d’avoir vu la pièce », détaille Arthur Fourcade. 
Ces ateliers permettent aux spectateurs de venir rejouer une scène et donner leur avis : « On accueille pour l’instant environ une dizaine de personnes par semaine, mais ça va monter en puissance. Dans le théâtre permanent, répétitif, l’attitude n’est pas la même tant pour l’acteur que pour le spectateur. On est là quatre mois. Le spectateur apporte sa pierre à la pièce. Il peut venir nous dire ce qui ne va. C’est l’avantage de jouer dans la durée. Le spectateur est présent et participe en quelque sorte à la pièce. »
Grégory parle même volontiers de « laboratoire où l’on fait une dissection des scènes. On n’échange pas entre acteur et spectateur mais entre amoureux de théâtre. On retravaille une scène. Ils disent ce qu’ils n’ont pas compris ou pas aimé. C’est une transmission dans les deux sens. »

« Comme des marins en mission. »

« Tu n’as plus le trac de rater quelque chose parce que tu vas forcément rater un truc. » 
Pour Kathleen Dol, jouer tous les jours n’atténue par pour autant le stress de passer à côté de sa prestation : « On peut se dire ’’ok, on recommence demain’’, mais on ne peut pas se contenter de quelque chose de moyen. »
Tous les après-midi, les acteurs se réunissent pour répéter, encore et encore. « Au début, c’était très difficile. Je me sentais nul. Depuis quelques jours, je sens un déblocage. Je savais que ça viendrait en jouant aussi longtemps, mais je suis étonné du chemin que ça prend. » Pour Arthur Fourcade, comme pour le reste du collectif, ce concept est une véritable révélation : « Dans le théâtre c’est rare de faire une seule chose à la fois, de pouvoir se concentrer sur un seul et même projet. Bien sûr ce n’est pas toujours réussi. Mais c’est une occasion unique de faire les choses et longtemps. Il faut être concentré et ouvert. C’est ce qui est fort. »
L’acteur et metteur en scène s’est pris au jeu : « Nous sommes comme des marins en mission. On est toujours sur le feu et on vit au jour le jour. La fatigue se fait sentir mais je commence à me dire que ça va être court...

[Découvrez l’intégralité de cet article dans le premier numéro de Barré]


Photo bandeau : crédit Collectif X.

Clément Goutelle
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  • "Nous sommes comme des marins en mission."

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  • Le Collectif X devant le Point du jour.

    Le Collectif X devant le Point du jour.

    photos : Collectif X.
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