« L’espace était en friche, laissé à l’abandon, un vrai gâchis. »

Gilles décadenasse joyeusement la grille de la Bergerie et me souligne, « tu vois, pas besoin d’une horde de sécurité, en quatre ans, on ne m’a jamais rien vandalisé », avant de rectifier : « Ah si, une nuit, on m’a chouré un mouton. »

Niché au cœur du quartier populaire des Malassis à Bagnolet, l’endroit laisse rêveur. La bergerie abrite ainsi depuis quatre ans les célèbres cocoricos du poulailler et l’étable avec son bordel organisé : des clichés d’anciens bergers de Bagnolet et quelques bouquins d’écolos éparpillés.
A l’extérieur s’élève un tipi rempli de jouets, un bar-cuisine amovible, des pots de fleurs aux tonalités hippies, des chaises longues et tables basses en matériaux de récupération, conçus par les gamins du coin.
Au fond du jardin s’esquisse un potager planté et cultivé par les habitants du quartier. Et au bout du chemin campe amicalement la célèbre cabane aux vœux. En rubans colorés, les bambins y ont harponné leurs promesses d’été.

A deux pas de là, la nature exalte. Deux poules papotes aux bras d’un coq, un bouc encanaille les chèvres, pendant que brebis et agneaux jouent à saute-mouton.

Les chèvres de la Bergerie, dans Bagnolet. / Photo Claudia Choquet.

Gilles le Berger, alias Petit Pois pour son record de graines plantées, a d’abord suivi des études agricoles, puis fondé en 2008 l’association Sors de Terre. Discret et passionné, ce grand gaillard au franc parlé animait déjà à la même époque des jardins pédagogiques aux pieds des immeubles, en compagnie de jeunes bagnoletais :

 Je voulais que les enfants puissent découvrir et comprendre leur environnement afin de se le réapproprier positivement » explique Gilles.

Petit Pois s’évertue alors à sensibiliser petits et grands sur le respect des espaces verts, les enjeux et impacts favorables de la Nature sur l’Homme.
Les jardins pédagogiques ont également favorisé l’échange, la solidarité et renforcé chez les habitants des Malassis un sentiment de fierté : « On se sent utile, et le quartier s’est revalorisé » confie Yasmine, une résidente.

En novembre 2011, épaulé par ses compères de l’association et des voisins du coin, le berger décide de construire en quatre jours une bergerie en bordure des HLM, sur un terrain municipal initialement réservé à l’école primaire. « L’espace était en friche, laissé à l’abandon, un vrai gâchis », déplore encore Gilles avant d’ajouter : « Il était temps d’apporter une fraîcheur, et de nouvelles couleurs aux paysages de ce quartier. »

Désemparée, l’ancienne municipalité de Bagnolet tente alors, en vain, de s’y opposer et se heurte à la fronde du quartier.

Lors des élections suivantes, les candidats à la Mairie se targueront de ce lieu hors du commun, et feront mousser leur campagne électorale à coup de clichés médiatisés :

 La bergerie s’est soudain transformée en un endroit incontournable et un point majeur des nouveaux programmes politiques pour Bagnolet », ironise le berger.

Depuis, quatre années se sont écoulées, et le petit germe a bien poussé. Petit Pois a su diversifier ses ateliers que ce soit pour les petits, les ados en difficultés, ou les enfants handicapés : jardins pédagogiques, bricolage, cuisines et ateliers artistiques.

/ Illustration GuiMia.

« La mairie se couche devant les promoteurs immobiliers. »

Cette après-midi pluvieuse du mois de janvier, des CM1 de l’école primaire voisine se sont invités à la Bergerie. Ils ont volontiers troqué leurs godasses derniers cri contre des bottines en caoutchouc démodées. « Ici, on est comme chez nous », confie Charline, 8 ans. C’est l’occasion de mettre les mains dans le foin, sauter à pieds joins dans la boue, et avec la nature ne faire plus qu’un. Pollux, le bouc agité, semble en ce jour quelque peu mal luné : « Il porte le même nom que ma cité », ricane un bambin, en remplissant l’auge des chèvres. A quelques mètres de là, un de ses camarades s’extasie sur le troupeau de moutons, pendant que d’autres improvisent un foot près du potager ou se content des histoires dans le poulailler.
« Petit pois, on bricole quoi aujourd’hui ? La jardinière ? », s’impatiente une élève. Gilles me confiera plus tard que cette enfant vient souvent prendre l’air ici, en dehors de l’école.

Au fil des saisons, la Bergerie abrite tour à tour slameurs, bricoleurs, jardiniers amateurs et heureux flâneurs.

 La Bergerie est devenue un lieu de rencontres où s’échangent les bases d’une citoyenneté participative réussie. J’ai été touchée de voir des mères de famille partager un moment simple autour d’un café ou des enfants, de retour de l’école en chemin vers la maison, y faire une halte le temps d’un coucou aux moutons », s’enthousiasme Christiane Pesci, Maire adjointe de Bagnolet dédiée à l’environnement, au développement durable et aux espaces verts.

Gilles confirme : « Les gens des Malassis, je les connais. Il y en a beaucoup qui ont grandi avec les jardins et la bergerie. Ils sont très attachés à nos projets. »...

[Découvrez l’intégralité de cet article dans le premier numéro de Barré]